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1 décembre 2011 4 01 /12 /décembre /2011 10:30

 

Les supporters du FC Nantes se mobilisent pour peser sur l'avenir de leur club, dépossédé de ses valeurs depuis dix ans. Leur idée : racheter des parts du FCN. En France, ils sont les pionniers d'un système qui n'est pas celui des socios en Liga, mais qui fonctionne en Angleterre. Enquête.

 

Florian Le Teuff a 31 ans. Il est professeur de français. Le FC Nantes, il est tombé dedans quand il était petit. Aujourd'hui, il ne reconnaît plus "le club de (son) enfance". "Depuis une dizaine d'années, il renie son passé." Résultat : l’armoire à trophées, pourtant bien garnie, a pris la poussière. Les Canaris végètent désormais dans l'anonymat de la Ligue 2. "Ils ont surtout perdu leur identité et leurs valeurs", se désole Japhet N'Doram. En 1995, quand le FCN a conquis le septième de ses huit sacres nationaux, le Tchadien était l'un des porte-drapeaux du fameux jeu à la nantaise. Ceux qui l'incarnaient ne sont plus là. Ils ont été priés de faire leurs valises. Les uns après les autres.

 

Nostalgique de cette belle époque, Florian Le Teuff en est convaincu : l'avenir du FC Nantes s'écrit à l'encre d'un retour aux sources. En mai 2010, il a une idée, dont "il ne renie pas la part de romantisme et de rêve". Ce supporter de toujours veut "remettre au goût du jour les valeurs qui ont fait la gloire du club: le collectif et la formation". Entouré "d'une bande d'amis", il décide "de lancer quelque chose de structuré". L'association A La Nantaise est née. "Aujourd'hui, le football est dominé par l'argent et le cynisme, explique-t-il. Nous pensons que ce modèle va dans le mur. L'individu doit désormais se mettre au service du collectif, pas l'inverse."

 

"Préparer l'après-Kita"

Les valeurs défendues sont recensées dans le Pacte Arribas, en hommage à l'entraîneur qui a fait du modèle nantais une référence. En dix-huit mois, plus de 2000 "amoureux" des Canaris ont signé cette charte. Ils entendent "devenir acteurs" de leur club, qui a connu quatre présidents en dix ans : Jean-Luc Gripond, Rudi Roussillon, Luc Dayan et Waldemar Kita. Aux commandes depuis 2007, l'homme d'affaires franco-polonais est un propriétaire contesté. Pour "préparer l'après-Kita", les supporters sont prêts à "ouvrir (leur) portefeuille". "L'idée, explique Florian Le Teuff, ce n'est pas de racheter le FC Nantes. On n'en a pas les moyens. On veut juste racheter des parts du club, pour épauler le futur repreneur et imposer un nouveau mode de gouvernance, plus responsable."

 

Cette initiative porte un nom : l'actionnariat populaire. Sur le Vieux-Continent, le phénomène a la cote (voir par ailleurs). A tel point que, le 14 octobre, la Commission européenne a accordé une subvention de 200.000 euros à Supporters Directs. Cette fondation britannique, basée à Londres, défend les intérêts d'ALN et de huit autres structures similaires à Bruxelles. L'actionnariat populaire est également une préoccupation du Parlement européen. Et l'UEFA en a fait un cheval de bataille. "Les supporters sont les mieux à même de gérer les clubs de foot, souligne William Gaillard, conseiller de Michel Platini au sein de l'instance européenne. Eux n'ont pas des moyens sans limite et ne vont pas être tentés de spéculer sur tel ou tel transfert de joueurs. Leur approche sera à la fois austère et vertueuse : ils ne sont pas propriétaires pour gagner de l'argent. Ils sont là pour défendre l'identité de leur club."

 

Des soutiens de poids

Ancré de l'autre côté de la Manche, l'actionnariat populaire n'a pas encore franchi les frontières hexagonales. Patrick Mignon l'explique : "Il y a un vrai décalage entre la culture du foot en Angleterre et en France, décrypte ce sociologue de l'Insep. En Angleterre, le football est le symbole d’une communauté. Les supporters veulent faire vivre leur club. En France, ils pensent généralement qu'ils soutiennent assez leur club en payant des abonnements." A La Nantaise a bien l'intention de changer ça. D'importer l'actionnariat populaire en France. L'initiative, inédite, commence à faire du bruit au-delà de Nantes. Jeudi dernier, les représentants d'ALN ont été reçus au ministère des Sports. En attendant que des contacts soient noués avec la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel.

 

Jusqu'ici, le mouvement comptait des soutiens de poids... à l'échelle locale : des anciennes gloires du club, comme N'Doram, Loko, Ouédec et Karembeu ; une vingtaine d'entreprises du coin qui, comme l'explique Olivier Tardiveau, directeur d'une agence immobilière, "s'unissent pour montrer qu'il ne s'agit pas d'un simple mouvement de supporters" ; et même des politiques de tous bords, qui ont adhéré à l'association. "C'est l'un des rares sujets sur lesquels il y a un vrai consensus", confie Benoit Blineau, conseiller municipal Modem. "La démarche est constructive, reprend Julien Bainvel (UMP). Elle permet d'introduire de la démocratie dans le foot." Ronan Dantec, élu Vert par ailleurs historien du sport, va plus loin dans sa réflexion : "Le sport a toujours été la vitrine et la caisse de résonnance de la société. Cette idée d'actionnariat populaire montre à quel point les gens ont besoin de s'approprier leur activité, de s'impliquer, d'être des acteurs et plus de simples spectateurs. On n'est plus dans une logique de retour sur investissement. On revient à des valeurs socles, basées sur l'humain. L'argent ne fait pas tout. On ne peut pas accepter que le FC Nantes soit le joujou d'un industriel ou d'un autre. Un club de foot fait partie du patrimoine d'une ville." "C'est un bien collectif auquel tout le monde doit avoir accès, confirme Patrick Mignon. Il vit parce qu'il réunit des milliers de personnes. Quand il est dans les mains d'un investisseur, il échappe à la sphère collective." "Et nous, renchérit Florian Le Teuff, on souhaite se le réapproprier."

 

"Un homme = une voix"

Encore faut-il que les quelque 2000 "amoureux" du FCN mettent la main à la poche. D'après une enquête rendue publique en février, 1044 d'entre-eux sont prêts à contribuer financièrement. "A hauteur de 300.000 euros par an".  Sauf que juridiquement, l'association ne peut prétendre à racheter les parts du FCN, dont le capital s'élève à 570.000 euros. Pour contourner le problème, une Société par actions simplifiée (SAS) verra bientôt le jour. "Elle servira de courroie de transmission entre les supporters qui souhaitent acheter des parts dans le capital du club et le futur repreneur, explicite Jean-Pierre Clavier, professeur de droit à l'université de Nantes, qui planche sur le dossier. En clair, les actions achetées par les supporters transiteront par la SAS, qui les reversera directement dans le capital du club."

 

Le montant de l'action est à l'étude. Pour les personnes physiques, elles seraient vendues par deux, à 100 euros. Les étudiants et les demandeurs d'emploi pourraient cependant en acheter à l'unité. Les entreprises, elles, devraient débourser 500 euros pour dix actions. Mais le juriste prévient : "Quel que soit le nombre d'actions achetées, chaque personne ne détiendra qu'une voix dans la SAS. Dit autrement, un homme = une voix. C'est la seule façon de conserver le côté populaire de notre démarche."

 

La ville aura son mot à dire

A écouter Frédéric Bolotny, "ce modèle est viable, pour peu qu'il soit encadré". "Poussé à son extrême, ça peut devenir une solution populiste. La participation des supporters doit rester minoritaire pour éviter qu'ils fassent et défassent les clubs au gré de leurs envies. C'est un peu ce qui se passe en Espagne. Les socios du Barça et du Real ne sont pas propriétaires du club. Mais leur pouvoir est tellement fort, que les présidents n'ont jamais les mains libres." L'économiste met aussi en garde contre les effets pervers d'une "industrie affective". "L'idée d'impliquer les supporters dans le capital d'un club est excellente, à condition qu'elle poursuive une logique sociologique : préserver l'esprit et les valeurs de ce club. Si elle répond à une logique économique, cette démarche n'est pas pérenne. Dans le foot, les actionnaires remettent plus souvent de l'argent au pot qu'ils ne touchent de dividendes. Surtout en temps de crise." "Notre initiative est complètement désintéressée, coupe Florian Le Teuff. On ne gagne rien. On veut juste obtenir deux sièges au conseil d'administration, pour pouvoir peser sur les décisions et défendre les valeurs du club."

 

Pour l'heure, Waldemar Kita reste sourd au message d'ALN, qui l'a "pourtant convié plusieurs fois à (ses) réunions". Officiellement, l'homme d'affaires franco-polonais n'est pas vendeur. En coulisses, il se murmure pourtant qu'il chercherait à se séparer du FCN. Depuis quatre ans, il lui a coûté plusieurs dizaines de millions d'euros. Le futur repreneur devra en tout cas s'accommoder de la pression locale. "Il ne sera probablement pas nantais, mais ce sera dans son intérêt de collaborer avec nous, martèle Olivier Tardiveau. Nous pourrons lui ouvrir des portes. Il aura besoin de nous pour créer du relationnel, asseoir sa notoriété dans la région, remplir le stade." "Propriétaire de la Jonelière et de la Beaujoire", comme le rappelle Marie-Françoise Clergeau, la municipalité entend elle aussi peser de tout son poids. Pour l'adjointe aux Sports (PS), les règles d'un éventuel rachat sont déjà fixées : "le nouvel acquéreur devra obligatoirement entrer en contacts avec la ville de Nantes."

 

Publié sur Eurosport.fr - Dossier réalisé par Gil BAUDU

 

Par Julien BAINVEL
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