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29 mai 2013 3 29 /05 /mai /2013 12:46

Débat sur le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale - Intervention de M. André TRILLARD

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

Je noterai d’abord que la présence du Premier ministre illustre bien l’importance que revêt ce débat sur le nouveau livre blanc de la Défense et sur la sécurité nationale. Ce livre blanc qui a vocation à incarner le guide suprême des futures orientations stratégique et militaire de notre pays.

Exercice difficile, moins dans sa dimension de réponse aux menaces auxquelles la France doit faire face, que dans la politique et la dynamique à mettre en place pour se conformer à ses recommandations.

Aussi, je tiens à rappeler devant vous que notre commission n’a pas ménagé sa peine afin de pouvoir jouer pleinement son rôle de contrôle de l’action du gouvernement mais aussi son rôle de force proposition.

Depuis 2012, la commission des affaires étrangères et de la défense a rendu pas moins de 8 rapports d’information permettant de préparer cette révision du Livre blanc. Quatre groupes de travail ont été mis en place, en respectant les équilibres politiques. Ceci mérite d’être salué.

Pour ma part, j’ai travaillé avec mon collègue LORGEOUX, sur les enjeux maritimes de la France. Comme il s’est déjà exprimé, comme plusieurs de nos collègues, je vais tenter d’éviter les redites.

Avant de revenir sur la nouvelle géopolitique des océans qui contraint notre pays à se repositionner sur la scène maritime, je voudrais d’abord formuler quelques remarques d’ordre plus général, mais auxquelles j’attache du prix.

Tout d’abord, Monsieur le Ministre de la Défense, mes chers collègues, vous me permettrez d’évoquer l’agression dont le soldat de première classe du 4e régiment de chasseurs de Gap, Cédric Cordiez, vient d’être la victime. Si nous nous réjouissons de ce que son pronostic vital n’a pas été engagé, nous devons rappeler aussi qu’il y a un peu plus d’un an, c’était le Maréchal des Logis-Chef Imad Ibn ZIATEN qui était assassiné, dans les circonstances que l’on connait.

Aujourd’hui, nous nous insurgeons contre le fait que nos soldats, garant de la sécurité de TOUS les français, sur le sol national et à l’étranger, puissent devenir des cibles.

À travers eux, c’est la République qui est attaquée

Je ne souhaite pas ouvrir de polémiques quant à la typologie des auteurs de ces actes odieux. Toutefois,

- au moment où nous débattons sur ce que sont les enjeux en termes de défense et de sécurité de la France,

- à l’heure où nous participons à la lutte contre le terrorisme à des milliers de kilomètres,

force est de constater qu’il est grand temps d’intensifier cette lutte sur le territoire national.

Selon certains analystes, nous entrons dans une nouvelle ère de terrorisme, qui s’avère très complexe à appréhender, qu’il s’agisse de ces acteurs nouveaux que de leurs motivations et des potentielles filières auxquelles ils pourraient appartenir.

L’hiver dernier, une loi pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme a été adoptée, et nous l’avons votée.

Le ministre de l’Intérieur avait alors déclaré vouloir "poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à des camps l'entraînement terroriste à l'étranger".

Mais qu’en est-il, au moment nous savons que 200 djihadistes français sont partis se battre en Syrie ?

Et ce, alors même que le Président de la République se déclare favorable à la livraison d’armes aux rebelles syriens ? Plus que jamais une extrême vigilance s’impose, en particulier sur ce dossier complexe des trafics d’armes …

C’est notamment pour cela que je souscris sans réserve à cette priorité accordée par le Livre Blanc au Renseignement. Elle vient s’inscrit dans la droite ligne du concept de « Sécurité nationale » introduit dans le Livre blanc de 2008.

Je souhaiterais d’autre part insister sur un problème qui, s’il n’a pas fait l’objet de beaucoup de commentaires, me parait essentiel : il s’agit de l’approche relative aux ressources humaines.

Un nouveau modèle d’armée a été défini, qui prévoit 24 000 suppressions de postes. Si nous avons de bonnes raisons de penser que l’armée de terre sera la principale concernée, nous ne disposons d’aucune précision sur les régiments qui seront touchés … Et à moins d’un an des élections municipales, je doute que nous puissions disposer de détails sur les installations et bases qui devront fermer.

C’est à ce moment que les élus locaux concernés prendront la mesure du concept nouveau développé par le Président de la République, vendredi dernier à l’IHEDN : « le dépenser juste ».

Cependant, et là encore peu de journalistes se sont fait l’écho de cette dimension, la Défense est d’abord et avant tout constituée d’hommes et de femmes dont le professionnalisme et l’engagement doivent être des exemples pour toute la société civile.

Et bien que le Livre blanc fasse beaucoup de référence aux civils, je souhaiterais vivement que nous nous penchions également sur le devenir humain de nos armées.

Depuis 1996, en effet, les armées ont connu de véritables bouleversements qui les ont profondément modifiées et ce, jusque à atteindre leur identité.

A l’époque, nous avions pensé à définir un « modèle armée 2015 » qui devait correspondre à une armée numériquement moindre, mais aux capacités techniques accrues.

Ce modèle « armée 2015 » s’est avéré trop lourd et inadapté, tant du point de vue des réalités géopolitiques que de la capacité de notre pays à incarner la place qui doit être la sienne sur la scène internationale.

Près de 20 ans après la suppression du service militaire, nos armées doivent résoudre un problème identitaire. La création de contrats courts implique un turn-over nouveau, auquel s’ajoute celui issu de la RGPP, qui sous-tend suppression de postes et externalisation de certains services.

Mais si l’Armée peut et doit externaliser certaines fonctions de support, (dans un souci de rationalisation et d’optimisation de gestion), elle doit avant tout poursuivre l’objectif de « recentrer » la politique de ressources humaines du Ministère de la Défense autour du « soldat ».

Simultanément, la France doit faire face à de nouveaux impératifs stratégiques (menaces nouvelles, engagement sur des théâtres d’opération d’un nouveau type), qui impliquent « le retour aux fondamentaux » qui composent l’Armée, c'est-à-dire le soldat en OPEX.

Ainsi, le Ministère de la Défense doit-il faire face à la convergence de deux phénomènes :

- l’arrivée à la retraite des engagés, notamment de ceux qui avaient un contrat de 5 ans à 15 ans,

- le non-renouvellement des contractuels de la Défense,

Il s’agit donc de définir les réels besoins des Armées pour les années à venir, en termes :

- de projection des forces en OPEX,

- d’anticipation des menaces depuis le territoire national.

Cette professionnalisation de l’Armée posait déjà en 1996 le défi de la reconversion des soldats et de leur réintégration dans la vie civile. Cela, dans une société imprégnée d’idées pacifistes, pour laquelle les notions de « pertes humaines » et de « sacrifice pour la nation » suscitent fréquemment l’incompréhension et le rejet.

Ce turn-over impose au ministère de la Défense un recrutement au rythme soutenu. L’enjeu n’est donc plus de susciter des vocations « d’une vie », mais de donner l’envie de s’engager pour quelques années seulement, au service d’une institution qui se bat pour la Nation, tout en sachant que l’on peut y perdre la vie… !

Cela s’avère d’autant plus difficile à l’heure où les armées sont au « régime sec » et que même les moyens dédiés à l’entrainement sont réduits.

Aujourd’hui l’Armée doit donner « envie d’elle-même » alors qu’elle peut apparaître – et je le regrette vivement- comme :

- l’école de la seconde chance pour des jeunes qui auraient échoué à l’école de la République,

- ou une bouée de secours de jeunes à la dérive.

Au cours des campagnes de recrutement, le Ministère de la Défense a mis en valeur les multiples possibilités de formation. Si l’Armée offre de nombreux métiers et des spécificités, ils doivent pouvoir trouver leur transcription dans la société civile. Et cela ne peut se faire sans une véritable validation des acquis professionnels.

Le reclassement et la reconversion des soldats constitue est un vrai défi. Et cela, aussi pour des raisons budgétaires, car le Ministère de la Défense ne pourra supporter cette charge en termes d’indemnités.

Désormais, ce « passage dans l’armée » doit être une plus-value qui permettra une reconversion valorisante au cœur de la société civile professionnelle. Le Président de la République souhaite renforcer les liens entre les armées et la société civile. Nous le souhaitons tous, mais cela ne pourra se faire qu’au prix d’une politique volontariste de reconversion et d’une véritable mobilisation des services de l’État.

Le dernier point sur lequel je souhaiterais revenir concerne, comme je vous l’ai dit, la place croissance de la maritimisation dans notre stratégie.

Aujourd’hui, 90% du trafic mondial se fait par voies maritimes. Les océans permettent d’assurer les échanges mais aussi les approvisionnements stratégiques. Les territoires ultra –marins, de Mayotte à la Guadeloupe et de la Réunion jusqu’en Nouvelle- Calédonie, font de la France une des premières puissances maritimes au monde.

C’est un formidable atout. Déjà en 1969, à Brest, le Général DE GAULLE déclarait « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploration de la mer, et naturellement, les États chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources… »

Pouvait-on être plus visionnaire ? Aujourd’hui, les budgets navals de la Chine, de l’Inde, de la Russie et du Brésil sont exponentiels. Ils augmentent entre 35% et 69 %. Parallèlement, les États-Unis ont officiellement annoncé qu’ils redéployaient leurs priorités stratégiques sur l’Asie -Pacifique.

Face à cette nouvelle donne, je souhaite que la France ne reste pas « au port ». Certes, toujours sur le plan de la sécurité, participons- nous – et avec succès – aux opérations de lutte contre la piraterie et contre les narco trafiquants qui sévissent de la Méditerranée qu’au large du golfe de la Guinée.

Mais, dans cet esprit, j’aurais souhaité que puissent être traités de façon plus exhaustive deux sujets majeurs liés à la mer : d’une part, la capacité de la marine nationale à protéger tout notre outil de commerce avec les pays asiatiques, c’est-à-dire la protection par nos forces de la libre circulation dans les détroits.

D’autre part, la protection de nos départements ultra-marines et de nos ZEE par des moyens appropriés et efficaces, aux lieux et place d’initiatives inadaptées, au premier rang desquelles, je place la création de réserves marines non surveillées.

Sur ces deux points le débat n’est pas clos…

Mais, surtout ce nouveau livre blanc doit renforcer la nécessaire prise de conscience des immenses opportunités nouvelles qui résulteront de la mise en place d’une politique plus intégrée, plus globale et plus volontariste des enjeux maritimes de notre pays .

par André TRILLARD Publié dans : Au Sénat

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