La Cour des comptes critique la création de 60 000 postes dans l'Education nationale
Par Marie Caroline Missir, publié le 22/05/2013 à 10:17, mis à jour le 23/05/2013 à 09:11
Dans un rapport très attendu, la Cour des comptes estime que l'Education nationale ne souffre pas d'un manque de moyens mais d'un problème de "gestion défaillante". Un rapport qui tombe mal pour Vincent Peillon, en remettant en cause la politique éducative engagée depuis un an.
Le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud.
afp.com/Bertrand Guay
"L'Education nationale ne souffre pas d'un manque de moyens ou d'un nombre trop faible d'enseignants, mais d'une utilisation défaillante des moyens existants". Tel est le principal constat de la Cour des comptes dans un rapport rendu public mercredi 22 mai et intitulé "Gérer les enseignants autrement".
La publication de ce rapport tombe mal: le ministre Vincent Peillon vient de signer un protocole avec les organisations syndicales sur la revalorisation des salaires enseignants. Et sa loi de refondation de l'école républicaine, à l'examen au Sénat cette semaine, prévoit le recrutement de 60 000 postes supplémentaires en cinq ans dans l'Education nationale, promesse de campagne de François Hollande.
Un diagnostic connu
Les propos et le constat de la Cour ne sont pas neufs. Depuis le rapport Pochard, remis en 2008 à Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos, la question de la gestion des 837 000 enseignants est l'un des enjeux majeurs des politiques éducatives. Les solutions sont connues: réformer les décharges horaires des enseignants -projet envisagé par Gilles de Robien, ministre de Jacques Chirac, et enterré par Nicolas Sarkozy dès son arrivée au pouvoir-, modifier le statut des enseignants, inchangé depuis 1950, et leurs obligations réglementaires de service, améliorer les suivis de carrière, les affectations des enseignants et professionnaliser leur évaluation, développer enfin une véritable politique de ressources humaines.
La Cour souligne que cette "bonne gestion" constitue un enjeu primordial de maîtrise de la dépense publique: les enseignants pèsent lourd dans les comptes publics, près de 49,9 milliards d'euros de masse salariale en 2011, soit 17% du budget de l'Etat.
Affectations, rémunérations et obligations de service
Outre une politique éducative fondée essentiellement sur l'attribution de moyens supplémentaires, la rue Cambon critique "l'articulation incohérente entre les obligations réglementaires de service (ORS) et les missions légales des enseignants". En d'autres termes, les ORS ne recoupent pas l'ensemble des missions des enseignants qui incluent aussi la préparation des cours, les corrections, le suivi des élèves, l'accompagnement personnalisé, les relations avec les parents, le travail en équipe, la correction des examens, les formations...
Autre point de tension: l'affectation des enseignants, "inadaptée aux besoins des élèves et aux exigences des postes". "Le système ne tient pas compte des profils des enseignants: en 2011, 65 % des néo-titulaires du second degré ont été affectésen établissement difficile ou comme remplaçants, contre 33% pour le reste des enseignants". "Ce système favorise l'instabilité des enseignants débutants et encourage peu la mobilité des enseignants expérimentés", pointe encore la Cour. A 30 ans d'ancienneté, un enseignant est présent en moyenne depuis 20 ans dans son établissement. Enfin, rappelle la Cour, le système d'affectation automatique "au barème" a été jugé illégal par le Conseil d'État à plusieurs reprises.
Autre dysfonctionnement pointé par la cour: les faibles écarts de rémunération. Ce système désavantage les meilleurs enseignants. Ainsi, en cumul sur 40 ans de carrière, un enseignant qui progresserait toujours "au grand choix" percevrait 16,4 % de plus que celui qui progresserait uniquement "à l'ancienneté, et au bout de 10 ans de carrière, l'écart maximum de rémunération n'est que de 6%, relève ainsi la cour.
Quatre axes de recommandations
Forte de ces constats, les recommandations de la cour s'orientent autour de quatre axes: "redéfinir le métier enseignant en adaptant en particulier" les obligations réglementaires de service"; "mieux valoriser les ressources humaines, au niveau individuel et des équipes"; "affecter les enseignants en fonction de la réalité des postes et des projets d'établissement" et "assurer une gestion de proximité".
La Cour fait trois propositions choc: financer la réforme du métier enseignant en réduisant les volumes horaires au lycée, introduire la bivalence dans le secondaire (la possibilité pour les professeurs d'enseigner deux disciplines), et annualiser les emplois du temps. Ces trois pistes figuraient déjà dans le rapport Pochard de 2008, aussitôt enterré par le ministre d'alors, Xavier Darcos.
Dans sa démonstration, la Cour met en avant l'exemple du Canada (Ontario) dont les résultats aux tests Pisa 2009 sont meilleurs que la France. La politique canadienne se fonde notamment sur des dotations budgétaires articulées à l'évaluation des resultats scolaires, des obligations de service incluant 4 heures par semaine pour le travail en équipe, une formation continue renforcée, et un accompagnement des nouveaux enseignants. Une feuille de route claire pour Vincent Peillon, qui doit lancer à l'automne des "discussions" sur le métier enseignant.