Ensuite par la probable audition par la juge d’instruction parisienne Sylvia Zimmermann de Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, et Bernard Squarcini, patron de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), soupçonnés d’avoir espionné Gérard Davet, l’un des deux journalistes du Monde chargés de suivre ce sulfureux dossier. Et enfreint la loi du 4 janvier 2010 sur la protection des sources des journalistes. Le ministre de l’Intérieur lui-même, Claude Guéant, dans une sorte de demi-aveu, a reconnu que la police a bien procédé à un « repérage de communications ».
Ce double rebondissement augure mal du climat dans lequel se déroulera la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy devant s’attendre à quelques attaques frontales. Aussi n’est-ce pas un hasard si quelques poids lourds du gouvernement – François Baroin, Valérie Pécresse et surtout Alain Juppé – ont tout fait pour établir un cordon sanitaire autour du chef de l’État.
Heureux pour un temps d’oublier l’embarrassante affaire Guérini à Marseille, le PS, par la voix de François Hollande, en a profité pour dénoncer la mainmise du pouvoir sur la justice, martelant qu’il y aurait « à l’Élysée, aux côtés même du président de la République, une cellule qui, avec la police, avec la justice, ferait pression pour que des affaires soient lancées et d’autres étouffées ». Accusations graves… Mais symétriques à celles lancées en leur temps par la majorité actuelle quand le PS était au pouvoir. Personne n’a oublié les écoutes pratiquées dans les années 1983-1986 par une cellule placée auprès de François Mitterrand et dirigée par Christian Prouteau. Personne n’a oublié les freins imposés à la justice pour qu’elle se hâte lentement dans l’affaire Urba… jusqu’au vote d’une amnistie.
Avec l’affaire Bettencourt, c’est Éric Woerth, à l’époque ministre du Travail, et Nicolas Sarkozy qui vont se trouver exposés au cours de l’été 2010. Un témoin en effet, Claire Thibout, comptable de Mme Bettencourt, évoque sur PV la remise d’argent en liquide, via Éric Woerth, pour financer la campagne présidentielle de Sarkozy. Avant d’estimer que ses propos ont été mal interprétés. L’infirmière de la vieille dame confirme, mais paraît-il, hors PV. Puis ayant reçu, dit-elle, des menaces de mort, elle ne veut plus rien dire.
Cette atmosphère, la juge Prévost-Desprez – qui a entendu ces deux employées dans le cadre du supplément d’information délivré pour abus de faiblesse – l’a connue. Elle l’a restituée, affirme-t-elle, dans le livre des deux journalistes. Voici son témoignage : « Ce qui m’a frappée, c’est la peur des témoins. Ils avaient peur de parler sur procès-verbal à propos de Nicolas Sarkozy. » Puis vient la bombe : « L’infirmière de Liliane Bettencourt a confié à ma greffière après son audition par moi : j’ai vu des remises d’espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais le dire sur PV. […] Bref, ce procès représentait pour l’Élysée un risque majeur. […] Il était impératif de me débarquer. »
Isabelle Prévost-Desprez a instruit à Paris plusieurs dossiers sensibles comme l’Angolagate (avec Philippe Courroye, aujourd’hui procureur de Nanterre) ou l’affaire du Sentier II, dans laquelle elle avait mis un peu vite en examen le patron de la Société générale, Daniel Bouton. À Nanterre, elle a eu à juger l’affaire du piratage du compte bancaire de Nicolas Sarkozy. Ce dernier, estimait la juge, n’étant pas une victime comme les autres, ne pouvait prétendre à des dommages et intérêts – ce qui irrita fortement le chef de l’État.
Chevronnée, Isabelle Prévost-Desprez l’est, mais également hâtive, et semble-t-il un peu légère, dans l’affaire Bettencourt. Aussi ses révélations apparaissent-elles plus en stuc qu’en béton. Lorsqu’elle reçoit, au cours de l’été 2010, le témoignage de sa greffière, qui elle-même le tient de l’infirmière, elle aurait dû les interroger toutes deux sur PV. Hors procédure, leurs affirmations n’ont évidemment aucune valeur juridique. En prime, entendues la semaine dernière par la PJ à la demande des juges bordelais, les deux femmes ont démenti Isabelle Prévost-Desprez.
À quoi joue celle-ci ? À se camper en victime d’une affaire d’État puisque, dit-elle, on voulait la “débarquer” ? Elle oublie que, dans ce dossier à tiroirs, elle était chargée d’une enquête sur le volet abus de faiblesse et non sur un éventuel de trafic d’influence ou financement politique illicite. Inutile de le dire, ces deux infractions susceptibles d’être reprochées à Éric Woerth ne pouvaient laisser indifférent en haut lieu. D’autant que l’élu UMP devait porter la réforme des retraites. Oui, ce feuilleton Bettencourt commençait à donner la nausée. Mediapart et le Monde n’en finissaient pas de distiller des informations exclusives. Comme à la mi-juillet, lorsque le Monde publie des extraits de PV du gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt, Patrice de Maistre, plutôt accablants pour Éric Woerth. Cette fois, à l’Élysée, le temps n’est plus à la rigolade.
D’où viennent ces fuites si rapides ? Très vite, les services ciblent un membre du cabinet de la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie. Décision est prise Place Beauvau, en liaison avec le patron de la DCRI Bernard Squarcini, d’adresser une réquisition à Orange pour obtenir les “fadettes” de ce fonctionnaire. Bonne pioche. Grâce à ces relevés téléphoniques, on découvre des appels fréquents entre le conseiller de la garde des Sceaux et Gérard Davet, le journaliste du Monde. Voilà pour la vérité officielle. Sauf que l’instruction de la juge Sylvia Zimmermann démontre a priori que la DCRI s’est d’abord intéressée aux relevés téléphoniques du journaliste, et non l’inverse.
Cette direction semble avoir enfreint la loi du 4 janvier 2010 sur le secret des sources des journalistes, qui dispose : « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie. » Comme une atteinte à la sûreté de l’Etat ou une menace terroriste. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dans une interview accordée à Libération, le délégué général de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité l’a dit clairement : « Si nous avions été consultés, nous aurions rendu un avis défavorable [pour obtenir les listings téléphoniques du journaliste]. »
Les pseudo-révélations de la juge Prévost-Desprez ont permis à la majorité de donner de la voix. Avec la violation du secret des sources, c’est le silence radio. Seul le député UMP Bernard Debré a osé dire que c’était « intolérable ». Gilles Gaetner